Lors d’une cérémonie à Thiès ce jeudi 12 Décembre 2024, le Président Bassirou Diomaye Faye a rendu hommage à Lat Joor Ngone Latyr Joop, symbole de la résistance anticoloniale, en inaugurant un monument à sa mémoire.
Discours intégrale du President Bassirou Diomaye Faye
Mesdames, Messieurs les Membres du Gouvernement,
Monsieur le Gouverneur,
Monsieur le Préfet,
Monsieur le Président du Conseil départemental de Thiès,
Monsieur le Maire de la Ville de Thiès,
Messieurs les Maires,
Monsieur le Recteur de l’Université Iba Der Thiam,
Mesdames, Messieurs les membres de l’Administration,
Mesdames, Messieurs les autorités universitaires, académiques et scolaires,
Mesdames, Messieurs les autorités religieuses et coutumières,
Mesdames, Messieurs les acteurs culturels,
Chers invités,
Mesdames, Messieurs,
Chers étudiants, chers élèves,
Monsieur le Maire,
Je voudrais saluer l’heureuse initiative, que vous avez prise avec votre conseil municipal, en érigeant ce magnifique monument à la mémoire de Lat Joor Ngone Latyr Joop, figure centrale de notre panthéon national. Ses hauts faits d’armes dans la résistance anticoloniale en ont fait un héros national du Sénégal. Le Damel du Kajoor a tenu tête à la France coloniale durant plus d’un quart de siècle. Il a accompli cet exploit avec des moyens techniques et militaires relativement limités, dans un contexte d’offensive généralisée des puissances impériales européennes décidées à se partager l’Afrique, continent que le commerce atlantique de la traite des esclaves avait déjà durement éprouvé.
Partout sur cette terre d’Afrique ce monument commémoratif aurait pu trouver sa place, mais nulle part mieux qu’à Thiès il ne pouvait être érigé. Il y fait écho à l’avenue éponyme du héros national, déjà située au cœur de son espace urbain.
C’est bien de Thiès, à l’époque un village du Cangin, toponyme aujourd’hui déformé en Janxeen, que le Damel à peine élu rassembla son armée en vue de restaurer la souveraineté du Kajoor sur les provinces amputées du royaume par la colonie. Nombreux furent les combattants qui tombèrent au champ d’honneur en ce jour mémorable du mois de Mai 1863. Ce fut là le tout début d’une carrière politique exceptionnelle de plus d’un quart de siècle de luttes acharnées menées par Lat Joor Joop, pour la défense de la souveraineté de son pays.
Le fin stratège qu’il fut était doublé d’un homme politique avisé. Son refus de transiger sur la souveraineté du Kajoor l’a poussé à refuser la construction du chemin de fer par la colonie. Dékheulé où il rencontre son destin relève plus des divisions de la classe politique du royaume que de la puissance de feu de l’armée coloniale. Il y est tombé les armes à la main, faisant sienne la devise des preux : « on nous tue, on ne nous déshonore pas ».
Mesdames, messieurs
La cérémonie à laquelle nous assistons ce jour s’inscrit dans la longue tradition de célébration de ce héros de la lutte anticoloniale. Les récits épiques transmis de génération en génération par les maîtres de la parole et les travaux des historiens de métier ont fourni de la matière à travailler aux artistes, aux dramaturges, aux poètes qui en ont tiré des œuvres créatrices de nos imaginaires collectifs.
A la suite du Président Amadou Cissé Dia qui a galvanisé la génération des indépendances avec son œuvre Les Derniers jours de Lat Dior suivi de La mort du Damel, Thierno Bâ nous a invité à vivre une valeur cardinale portée par le Damel dans la pièce de théâtre intitulée Lat-Dior – Le chemin de l’honneur.
Parce que nous sommes dans le Cangin, aux portes du Kajoor, nous ne pouvons pas manquer de saluer la mémoire d’un des valeureux fils du terroir, contemporain du Damel et dont les hauts faits d’arme dans la lutte anticoloniale sont certes moins connus, mais n’en sont pas moins héroïques. Je veux nommer Kaañ Faye qui a défié l’ordre colonial en verrouillant les voies de passage des caravanes des traitants de l’arachide entre le Bawol et la ville portuaire de Rufisque. Ont pris part à ses combats des hommes et femmes de valeur attachés à préserver de l’intrusion coloniale les terroirs du Lexar, du Joobas, du Paloor, du Ndut et du Saafi aujourd’hui polarisés par la ville de Thiès. La recherche devra exhumer les traces historiques de ces luttes pour en célébrer les acteurs et magnifier leurs œuvres.
Il ne fait aucun doute que le déjà prestigieux panthéon national continuera de s’enrichir de monuments, d’œuvres d’art et d’ouvrages littéraires célébrant les hommes et les femmes qui, à l’image de Lat Joor Ngone Latir Joop, ont marqué de leurs empreintes indélébiles les plus glorieuses pages de notre histoire. Faire nation, c’est en permanence immortaliser ces vies exemplaires, rappeler à notre jeunesse les valeurs dont elles furent l’incarnation.
Mesdames et messieurs,
C’est dans la diversité des mémoires des terroirs constitutifs de la nation sénégalaise, ouverte sur l’Afrique, que nous construirons un futur de dignité, de solidarité et de cohésion.
L’occasion m’est ainsi donnée d’évoquer quelques-unes de ces vies du passé, comme la figure exemplaire du prince du Waalo Sidiyya Ndaté Yalla qui conduisit une insurrection violente contre la mainmise coloniale dans le pays de ses ancêtres. Il eut la clairvoyance d’appeler à une union de tous les États de la Sénégambie pour résister à l’intrusion coloniale.
Quant au Jolof, il nous a donné le Bourba Alboury Seynabou Ndiaye, contemporain, allié et cousin du Damel du Kajoor que nous célébrons ce matin. Pendant plus de 10 ans, le Lion de Yang Yang a toujours répondu présent là où l’appelait le devoir. Ainsi, il prit part à la grande coalition que fut la Ligue Tijaan aux côtés de Saer Maty Bâ, l’héritier de l’almamy du Rip, de Mamadou Lamine Dramé du Bundu et d’Abdoul Bokar Kane, le grand électeur du Bosséa, Émir du Fouta, pour opposer la plus vive des résistances à la poussée impérialiste.
L’occasion m’est également donnée ici de saluer la mémoire du premier Sultan de Dosso, Maïdanda Hamadou Saïdou Djermakoye. Au cours de son magistère, il a érigé dans l’enceinte de la grande mosquée de Dosso une sépulture digne du fils du Jolof. Ce faisant, il a posé un acte digne de son précoce engagement panafricain qui fait écho à celui du roi du Jolof mort en terre nigérienne.
Ces deux destins, celui du Bourba et celui du Djermakoye incarnent à suffisance les idéaux du Panafricanisme qui doivent nous inspirer dans nos actions quotidiennes.
C’est de ce Gabou que partirent, cinq siècles auparavant, les Gelwaar fondateurs des États du Siin et du Saalum. La symbiose qui s’est alors forgée entre ces migrants venus du Sud et les Lamaan du pays Sereer a donné naissance à des valeurs fortes d’abnégation au travail, de droiture, d’humilité, de courage, de respect de la parole donnée et d’ancrage aux meilleures traditions ancestrales. Nous avons un bel exemple illustratif de ces valeurs avec le fameux témoignage en faveur de Cheikh Ahmadou Bamba apporté par le Bour Siin Kumba Ndoffène au péril de son pouvoir voire de sa vie, pour éviter au Cheikh un second exil.
Parti du Firdu, province sous domination du même Gabou, inspiré par Cheikh Oumar Tall, Alfa Molo Baldé a libéré le Fouladou avec le drapeau de l’islam. Son fils et successeur Moussa Molo, pris en tenaille entre les rivalités conquérantes de la France, de l’Angleterre et du Portugal, leur a opposé une forte résistance en jouant sur leurs rivalités.
Quant à la Basse Casamance, elle nous donne à voir une longue résistance populaire contre l’intrusion coloniale. Village par village, les hommes et les femmes de cette région ont réussi à préserver l’intégrité de leur terroir jusqu’à la veille de la Grande Guerre. Aline Sitoé Diatta, la Dame de Cabrousse, a repris le flambeau qui ne s’est jamais éteint. L’histoire retiendra de cette figure historique décédée en déportation au Soudan en 1944, sa lutte farouche contre la remise en cause de la civilisation agraire du terroir, base de la souveraineté alimentaire.
Des hommes nouveaux ont repris l’étendard de la lutte à travers la formation de communautés religieuses adossées sur une spiritualité inaccessible aux armes du colonisateur. Ils ont fait échec à son projet d’aliénation culturelle analysé comme le plus grand danger porté par la colonisation. Cheikhna Cheikh Saad Bouh, Amary Ngoné Ndak Seck, Cheikh Abdoulaye Niasse, Cheikh Bouh Kounta, Seydi El Hadji Malick Sy, Cheikh Ahmadou Bamba Mbacké, Seydina Limamou Laye Thiaw ont apporté une réponse efficace à la crise des sociétés sénégambiennes de la fin XIXe siècle.
Cette réponse trouva ses assises sur la production d’une alternative intellectuelle et religieuse au projet colonial. Ils ont ainsi réussi à préserver l’essentiel, c’est-à-dire la foi en Dieu, les valeurs cardinales du travail, de la droiture et de l’intégrité, nourri par les textes des penseurs soufis. Ils sont alors devenus les figures emblématiques de la résistance culturelle et non violente à la domination coloniale et le refuge de tous ceux qui, déboussolés par les turbulences politiques et sociales, cherchent refuge auprès d’un maître pour donner sens à leur vie. Cet héritage se perpétue, de génération en génération, dans les daara appelés à entrer en symbiose avec l’école attendue de la réforme à venir du système éducatif sénégalais.
Donner ce poids au Daara, c’est renouer avec la longue histoire du mouvement maraboutique tel qu’il apparait dans ces pages d’histoire. Sa plus grande victoire en terre sénégalaise est advenue au Fouta avec la révolution Toroodo de 1776 conduite par les deux grandes figures que sont Thierno Souleymane Baal et Abdoul Qadir Kane.
Formés à Pire, à Koki, au Fouta Djallon, au Bundu et dans les Zawiya de la Mauritanie, les révolutionnaires ne se sont pas enfermés dans leurs livres au contenu maîtrisé. Ils ont élaboré et mis en œuvre un programme de transformation radicale du Fouta en instituant un système politique électif et décentralisé d’une étonnante modernité. Toutefois, c’est l’éducation qui s’erige comme levier principal de la transformation du système social, avec la mise en place d’un puissant réseau scolaire qui irrigue tout le Fouta, du Dimar au Damnga.
L’État comme les collectivités locales ont pour mission d’enseigner et de faire connaître ce long héritage, dans toute sa complexité, pour inspirer les politiques de transformation de notre société.
Mesdames, messieurs
L’initiative du maire Babacar Diop est à citer en exemple à tous les édiles des collectivités locales qui, en cohérence avec l’État, auront à concevoir et mettre en œuvre une politique novatrice de soutien aux industries culturelles. Accompagner les artistes et les créateurs culturels participe à bâtir notre patrimoine matériel et immatériel, levain incontournable de notre vivre ensemble. Au-delà de la dimension esthétique, l’œuvre que nous inaugurons aujourd’hui, à l’image de tant d’autres produits de l’imagination créatrice de nos artistes, cinéastes et littéraires, est porteuse d’une efficace fonction pédagogique, dans la transmission de nos valeurs et vertus les meilleures.
L’école doit s’emparer de cette mémoire, quel qu’en soit le support, pour former en notre jeunesse les bâtisseurs d’une nation souveraine et ouverte aux idéaux du Panafricanisme.
Le parrainage de nos rues, de nos places publiques, de nos infrastructures sportives et culturelles, de nos écoles et édifices publics et privés est appelé à davantage puiser ses noms dans ce patrimoine partagé, ce socle de références collectives sur lesquelles s’édifient notre imaginaire national et nos convictions patriotiques.
Continuer à faire patrie, c’est renforcer la perspective de l’unité à partir de toutes les sources qui alimentent la mémoire nationale, forte de sa diversité. Aujourd’hui nous célébrons Lat Joor Ngoné Latyr Joop dans une ville où se sont écrites des pages glorieuses de notre histoire.
Mesdames et messieurs,
Thiès est aussi la ville des cheminots qui se sont illustrés dans tous les combats pour la liberté et la justice sociale. Ils ont payé au prix fort cet engagement militant. Sembène Ousmane a immortalisé la longue grève des cheminots de 1947, dans une œuvre devenue classique Les bouts de bois de Dieu. Moins connue est la grève de 1938 qui s’est achevée dans un bain de sang le 27 septembre. Un autre massacre colonial que vous avez immortalisé avec l’érection d’un monument au bout de l’avenue Aynina Fall, à l’entrée de la Cité Ibrahima Sarr, du nom des leaders de la grève de 1947. Nous étions au crépuscule du Front populaire. Les prodromes des heures sombres de la Deuxième Guerre mondiale assombrissaient l’horizon.
Est-il besoin de le rappeler ? Le conflit mondial s’est achevé, pour l’Afrique, avec le massacre des tirailleurs sénégalais à Thiaroye le 1er décembre 1944. Nous venons d’en commémorer le 80e anniversaire afin que jamais ne s’éteigne la contribution des hommes et des femmes d’Afrique à l’édification d’un monde toujours plus humain parce que plus juste.
Je vous remercie de votre aimable attention.