Les avocats de l’Etat du Sénégal ont fait face à la presse, hier, pour se prononcer sur l’arrêt rendu le 30 août 2018 par la Cour d’appel de Dakar, statuant en matière correctionnelle dans l’affaire ministère public contre Khalifa Ababacar Sall et autres. D’autre part, ils ont aussi parlé du décret de révocation du maire de la ville de Dakar, apportant ainsi leur réplique aux avocats de la défense.
Les avocats de l’Etat du Sénégal ont apporté, hier, la réplique aux avocats de Khalifa Sall qui avaient attaqué, lors d’une conférence de presse, l’arrêt de la Cour d’appel et le décret de révocation du maire de Dakar. Me Moussa Félix Sow a ouvert le bal pour se prononcer d’abord sur l’arrêt. Il a d’emblée renseigné que l’arrêt rendu le 30 août par la Cour d’appel de Dakar n’est pas encore disponible. « Il le sera certainement dans la semaine. Il est, dans ces conditions, osé, voire prématuré de pouvoir faire des commentaires sur l’arrêt allant jusqu’à estimer que c’est une honte, une insulte. Cela est excessivement grave, et très grave, de faire de pareilles affirmations », a-t-il déclaré. Selon lui, l’honnêteté aurait voulu de reconnaître que cet arrêt a annulé les procès-verbaux d’enquête préliminaire. « Le délibéré l’a bien mentionné et il faut que l’on dise aux Sénégalais que les décisions se font sur la base de texte de loi et de la procédure qui est prévue par le code de procédure pénale. Et dans le cadre de l’appel, la Cour d’appel avait la possibilité même dans tous les cas sur la base de l’article 508. Si elle décidait même d’annuler tout, elle avait la possibilité d’évoquer sur le fond. Dans tous les cas, la Cour a annulé les procès-verbaux et a estimé pouvoir considérer que la procédure pouvait continuer et analyser le fond sur la base du rapport de l’IGE », a-t-il déclaré. Avant de poursuivre : « parce que le réquisitoire du procureur avait visé deux actes : le procès-verbal d’enquête préliminaire et le rapport de l’IGE. Et même en tant qu’avocats de l’Etat, on avait attiré l’attention de la Cour que les avocats de Khalifa Sall s’étaient trompés sur les références du procès-verbal qu’il fallait annuler. Ils avaient visé un procès-verbal du 17 février alors que le procès-verbal dont il s’agissait était un procès-verbal du 2 mars. Donc, c’est pour dire que vouloir attaquer l’arrêt de cette façon, sans le lire, ne relève que de la politique politicienne. Ça n’a rien à voir avec le droit et je pense qu’avant d’attaquer une décision, il faut d’abord la lire ».
« Il faut aller vers les articles 135 et 140 du code des collectivités locales »
Sur le décret de révocation, les robes noires se posent la question de savoir si l’Etat du Sénégal, en l’occurrence le Chef de l’Etat, peut prendre un décret pour sanctionner un maire qui a commis des faits qui sont répréhensibles ? Me Sow explique : « là, il a été évoqué l’article 36 de la loi organique de 2017 portant sur la Cour suprême. Pour être juste, je voudrais vous lire ce que dit exactement cette loi : « le délai de recours et le recours ne sont suspensifs que dans les cas suivants. Premièrement, en matière d’Etat. Deuxièmement, quand il y a incident. Troisièmement en matière de vente immobilière. Quatrièmement, et c’est le cas qui nous concerne, en matière pénale sauf, d’une part, en ce qui concerne les condamnations civiles, et d’autre part, l’existence de disposition législative contraire ». Ça veut dire, selon lui, que pour cela, il faut aller vers les dispositions des articles 135 et 140 du code des collectivités locales. En effet, lorsque vous allez à l’article 135, il vous est dit que lorsque le maire ou tout autre conseiller municipal est condamné pour crime, sa révocation est de droit. Tel n’est pas le cas ici. « Les maires et adjoints, après avoir été entendus et invités à fournir des explications écrites sur les faits, peuvent être suspendus par un arrêté du ministre chargé des collectivités locales pour un temps qui n’excède pas un mois, et qui peut être porté à 3 mois. Il ne peut être révoqué que par décret. L’arrêté de suspension et le décret de révocation doivent être motivés. L’article 140 va citer les faits pour lesquels on va appliquer l’article 135 et parmi ces faits, il y a 7 faits qui font que l’article 140 dit que dans les 7 premiers cas, la sanction administrative ne fait pas obstacle aux poursuites judiciaires », a dit la robe noire. Donc, pour Mes Yérim Thiam, Samba Bitèye, Ousmane Sèye, il s’agit d’une sanction administrative, bien que l’on a dû entendre les avocats de Khalifa dire que comment il se fait que Khalifa, qui n’est pas un fonctionnaire, puisse subir une sanction administrative.
« L’arrêt qui a été rendu le 30 août par la Cour d’appel de Dakar a l’autorité de la chose jugée »
« Les poursuites se font, mais ça n’empêche pas que l’autorité administrative, en l’occurrence le Chef de l’Etat ait pu prendre un décret de révocation. Nous avons ici une jurisprudence du conseil d’Etat qui concerne exactement le cas de Khalifa Sall. Dans un arrêt en date du 12 juin 1987, le conseil d’Etat dit ceci : considérant que l’arrêt du 29 novembre 1985 de la Cour d’appel de Nîmes, condamnant Messier X à la peine susmentionnée, bien qu’il ait fait l’objet d’un pourvoi en cassation à l’autorité de la chose jugée, qu’il pouvait dès lors légalement servir de fondement à la mesure de révocation prononcée le 6 mars 1986 à l’égard de Messier X, lequel ne saurait utilement se prévaloir dans ces conditions de ce que cette mesure méconnaitrait le principe de la présomption d’innocence dont doit bénéficier le prévenu », a rappelé Me Sow. A l’en croire, c’est pour dire que l’arrêt qui a été rendu le 30 août par la Cour d’appel de Dakar a l’autorité de la chose jugée. « Sur ce fondement, le Chef de l’Etat peut tout à fait prendre un décret de révocation qui ne porte nullement atteinte aux principes de la présomption d’innocence. Le décret ne se limite pas seulement d’évoquer l’arrêt, il rappelle également que Khalifa Sall a fait l’objet d’une inspection générale d’Etat qui a révélé des manquements qui ont été faits. Le décret de révocation se justifie amplement du point de vue des faits de détournement qui lui sont reprochés », a précisé l’avocat. Même son de cloche chez l’agent judiciaire de l’Etat, Antoine Diome, selon qui le dernier alinéa de l’article 140 est très clair sur la question. « Ça signifie en réalité que pour un seul fait, il peut faire l’objet d’une sanction administrative ou d’une sanction pénale. Maintenant, la sanction administrative, lorsqu’elle est prononcée, ne fait même pas obstacle aux poursuites judiciaires. Il y a une sorte de déconnection ici opérée par la loi elle-même, des sanctions administratives par rapport aux sanctions pénales. Et si le Sénégal était un cas isolé, on aurait pu dire qu’on ne voit ça que dans notre pays. Mais en France, vous pouvez faire des recherches sur la révocation du Maire de « saint priva » dans le Rhône », a-t-il dit. Il poursuit que dès après l’audition d’un maire ou que l’occasion lui a été donnée de se prononcer sur des faits qui lui sont reprochés, le Président de la République peut prendre valablement et en droit une décision pour le sanctionner en le révoquant de ses fonctions de maire. « On tente de créer un lien entre la procédure judiciaire et la sanction administrative, or le texte dit que la sanction administrative ne fait pas obstacle à la procédure judiciaire. Ce qui signifie qu’après le rapport de l’IGE, le Président était fondé à prendre cette mesure de révocation. Par ailleurs, il ne faut pas déplacer le débat. On veut nous déplacer sur un terrain qui n’a rien à voir avec les faits de la cause. Le débat sur la déclassification du rapport de l’IGE n’a rien d’importance », a-t-il conclu.