Mes chers compatriotes, d’ici et de la diaspora,
Mesdames, Messieurs,
Notre perte est immense, et notre douleur infinie.
A cette perte et à cette douleur, s’ajoute, pour moi, le pénible exercice de prononcer l’oraison funèbre d’un collaborateur émérite, au parcours et aux qualités hors du commun.
Pour rappeler le destin mortel de l’humain, une sagesse de chez nous dit que la vie cohabite avec la mort.
Mais on ne s’habitue jamais à la mort, parce qu’elle frappe toujours par surprise.
Et comment s’habituer à la mort quand, avec la disparition du Ministre Bruno Diatta, elle frappe au cœur de la Nation, de l’Etat et de la République ?
Le vendredi 21 septembre 2018, le Ministre Bruno Diatta s’est retiré paisiblement de la vie terrestre, à son domicile, parmi les siens. Fidèle à lui-même, Bruno s’en est allé discrètement, comme il a vécu.
On le savait souffrant depuis peu. Mais, tirant sa force dans sa pudeur habituelle, jamais il ne s’est plaint de sa maladie. Bien au contraire, il a tenu jusqu’au bout. Il a travaillé jusqu’au dernier souffle.
Le mercredi 19 septembre, c’est lui qui avait encore installé le Conseil des Ministres, sacrifiant au rituel dont il avait seul le secret. Hélas pour la dernière fois…
Grande a été ma surprise d’apprendre le décès de Bruno, vendredi, alors que je partais en mission.
Quand le destin nous arrache un collaborateur d’exception, le seul devoir qui vaille est de lui rendre l’hommage qu’il mérite.
Et cette cérémonie d’hommage national à la mémoire du Ministre Bruno Diatta est une terrible ironie du sort, parce que le cérémonial est par définition le domaine réservé de Bruno. C’est lui qui en était l’ordonnateur et le maître par excellence. Il n’y a que la mort pour nous imposer un monde à l’envers et nous dicter un cérémonial à la place de Bruno.
La Nation est frappée au cœur, parce que le Ministre Bruno Diatta était un homme de synthèse. Il symbolisait si bien ce qui nous unit et nous rassemble, par-delà nos différences et nos diversités.
Par sa famille élargie, à la fois chrétienne et musulmane, Bruno était un trait d’union à multiples facettes, reliant plusieurs terroirs et composantes socio ethniques de notre pays.
Originaire de Kabrousse, au Sud, par son père, Bruno était de la lignée d’une héroïne nationale, Aline Sitoe Diatta, et avait des attaches familiales en terroirs du Sine et du Saloum, au centre du Sénégal.
Mais c’est au Nord du pays, précisément à Saint-Louis du Sénégal, qu’il vit le jour le 22 octobre 1948, d’une mère métisse.
C’est à Saint-Louis qu’il fit ses classes du primaire, au Petit lycée de la rue Neuville.
Et c’est à Saint-Louis qu’il se mariera plus tard, après de brillantes études au Lycée Van Vollenhoven de Dakar, actuel Lycée Lamine Guèye, à l’Institut d’Etudes politiques de Toulouse et à l’Ecole Nationale d’Administration du Sénégal, Section Diplomatie.
Chrétien de confession, Bruno s’en est allé un vendredi, jour saint des musulmans. C’est tout un symbole, comme pour rappeler, dans un ultime message protocolaire, son attachement indéfectible à l’harmonie sociale qui nous relie les uns aux autres sous l’ombre apaisante de la nation sénégalaise.
Par le brassage unique de ses origines, Bruno incarnait l’homme-intégral de la Civilisation de l’Universel, dont rêvait le Président-poète Léopold Sedar Senghor, qui l’avait appelé à ses côtés en 1977.
L’éloge autour de Bruno Diatta est unanime. Tout le monde l’appréciait, même ceux qui ne le connaissaient pas ; parce que l’homme était poli, sympathique et attachant.
Malgré la distance et réserve qu’imposaient sa fonction, les inconnus l’interpelaient familièrement. Et son prénom suffisait comme identité remarquable. Bruno, sans autre précision, c’était lui, c’était Bruno Diatta !
L’estime à l’endroit de Bruno venait aussi de sa capacité unique de transcender les conjonctures et les convulsions de l’histoire, en restant à cheval sur le métier, et le pied ferme sur le socle de granite qui soutient la continuité des institutions.
C’est pourquoi l’Etat et la République sont frappés au cœur avec la disparition du Ministre Bruno Diatta.
Au cœur de l’Etat et de la République, sa carrière professionnelle, lumineuse comme un rayon de soleil au zénith, est un condensé exceptionnel d’excellence et de longévité.
De sa sortie de l’Ecole nationale d’Administration en 1973, au vendredi 21 septembre 2018, Bruno a dédié un parcours sans faute de 45 ans à l’Etat et à la République, dont 41 ans au Protocole de la Présidence République; servant avec le même dévouement républicain tous les Présidents du Sénégal indépendant.
Le Service du Protocole, tâche prenante et complexe, exigeante et ingrate, restera à jamais attaché à son image.
Il faut plus qu’une formation, il faut plus que des diplômes pour exceller dans le protocole comme Bruno Diatta.
Au-delà des textes, us et coutumes qui régissent la préséance et le cérémonial, le protocole, c’est d’abord la finesse d’un code de conduite rigoureux, inscrit dans le marbre des lois non écrites et nécessaires à la vie en société.
Le protocole, c’est une affaire d’éducation, un art consommé des bonnes manières, du savoir-faire et du savoir-vivre ; une invite permanente à la politesse, à l’humilité, au civisme, à la tenue et à la retenue.
Voilà les valeurs dont le Ministre Bruno Diatta était le porteur, le gardien vigilant, rigoureux, ferme et discret.
Sans la rigueur immuable du protocole, la vie publique serait un chaos insoutenable. C’est pourquoi Bruno tenait par-dessus tout au bon ordonnancement de la préséance et à la bonne disposition des choses : chacun à sa place et chaque chose en son temps.
Sa tâche devenait ingrate quand, sans égard pour l’étiquette du protocole et les bonnes manières, on voulait passer outre les convenances établies.
Mais lui, dans un calme olympien, tenait toujours au respect des normes, sans geste déplacé ni violence verbale, faisant sienne la sagesse de Rûmi : Elève tes mots, pas ta voix. C’est la pluie qui fait grandir les fleurs et non le tonnerre.
Bruno savait trouver le mot juste. Il avait le sens de la formule pour rappeler les uns à l’ordre et conseiller les autres aux usages de l’Etat et de la République.
Mais ce n’est pas tout. Quatre décennies durant, il a organisé de main de maître le quotidien de l’Etat au plus haut niveau ; un travail de tout instant, qui exige une disponibilité constante, pour gérer le présent et anticiper le futur.
L’homme était doué d’une mémoire phénoménale. Entre évènements nationaux et internationaux, Bruno veillait sur les dates. Il connaissait chaque lieu de destination et ses conditions de séjour. Il maîtrisait parfaitement les distances à parcourir, prêtait attention aux décalages horaires et aux aléas de la météo. Bref, Bruno était soucieux du plus petit détail. Il ne laissait rien au hasard.
Bien souvent, nous ne voyons le protocole que sous l’éclat des lambris dorés. Mais derrière chaque scène bien réglée, où tout semble aller de soi, que d’efforts et de temps consentis ! Que de jours et de nuits notre illustre défunt, couché pour l’éternité, dormant du sommeil du juste, est resté debout et éveillé, pour que tout soit dans le bon ordre !
Bruno a connu le temps où certains voyages relevaient de l’aventure. S’il a parcouru avec aisance les capitales du monde, il connaissait mieux que quiconque le Sénégal des profondeurs. Il a dormi chez l’habitant et parfois dans sa propre voiture. Il a traversé les rivières, arpenté les sentiers sinueux de nos campagnes et bravé des intempéries.
Bruno connaissait son monde. Il était d’une urbanité exquise. Du plus haut dirigeant au plus humble citoyen, il savait comment traiter chacun avec courtoisie et égard.
De sa riche aventure humaine, il s’est fait, au Sénégal et ailleurs, des amis, des admirateurs et des disciples. Son expertise avérée était reconnue et sollicitée au-delà de nos frontières.
Pour ceux de ma génération, Bruno a d’abord été un mythe vivant que nous renvoyait l’image de son élégante silhouette à la télévision.
Plus tard, j’eus le bonheur de croiser son chemin dans mes fonctions officielles, et la chance de le trouver à la Présidence de la République comme Chef du Protocole.
J’ai vu de près comment, dans une symphonie sans fausse note, il a organisé en seulement une dizaine de jours, ma cérémonie d’investiture et la fête de l’indépendance de notre pays.
C’est donc tout naturellement que je l’ai maintenu dans ses fonctions en l’élevant au rang de Ministre, par décret 2012-435 du 10 avril 2012.
J’ai voulu ainsi reconnaitre les qualités personnelles de Bruno Diatta et ses mérites professionnels au service de l’Etat.
Le Ministre Bruno Diatta fut un homme de devoir, un témoin singulier de notre histoire institutionnelle, un commis d’Etat infatigable, fidèle et loyal.
Comme dans un refrain synchronisé, j’ai souvent entendu dire qu’il devait écrire ses mémoires. Mais Bruno a fait plus que rédiger ses mémoires ! Sa vie et son œuvre forment un livre ouvert, pour qui sait lire plus les actes que les mots. Car finalement, l’essentiel n’est pas dans le verbe qui périt, mais dans l’acte qui demeure. Bruno n’était pas un homme du verbe, mais de l’action.
C’est pourquoi, en ces temps de repères brouillés et de consciences souvent assoupies, sa mort nous interpelle et nous renvoie aux valeurs cardinales qu’il portait en viatique : le civisme, le don de soi, l’humilité, le respect du prochain et du bien commun.
Voilà le legs que nous laisse Bruno Diatta.
Mon cher Bruno, ainsi vient l’heure pénible de la séparation.
Mais avant de partir, je voudrais que tu emportes notre témoignage, chaleureux et unanime comme nos louanges.
Je témoigne que tu as rempli ta mission avec classe, honneur et dignité.
Je témoigne que, plus qu’un Chef du protocole, j’ai perdu en toi un conseiller émérite, un émissaire habile des missions délicates, un messager honnête, avenant et digne de confiance, un sherpa clairvoyant, dont la lanterne flamboyante balisait les chemins improbables.
Je témoigne que l’Etat et la République ont perdu un gardien du temple.
Je témoigne que la nation a perdu l’icône emblématique de son cérémonial.
Je témoigne que tes amis ont perdu un symbole de fidélité en toute circonstance.
Et ta famille, orpheline, a perdu un être cher, un époux attentionné, un père affable, un frère bienveillant.
En ces moments d’épreuve intense, je réitère l’expression affectueuse de ma profonde compassion à l’ensemble de ta grande famille ; à ta courageuse veuve, Thérèse, et à vos enfants, Guilaine, Yalisse, Pierre et Olivier.
Je leur renouvelle mes condoléances émues et celles de la nation.
Cher Bruno, au nom de la nation Sénégalaise, au nom de mes prédécesseurs, feu le Président Léopold Sedar Senghor, les Présidents Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, et en mon nom personnel, je te remercie du fond du cœur pour tes éminents services.
Je salue avec respect ta mémoire.
Le souvenir de ton œuvre impérissable restera à jamais gravé dans nos cœurs et nos esprits.
En reconnaissance de tes bons et loyaux services, et pour t’offrir en exemple aux générations actuelles et futures, la Salle du Conseil des Ministres et le Grand Amphithéâtre de l’Ecole nationale d’Administration porteront désormais ton nom.
Nous te désignons également comme parrain de la promotion de l’ENA qui sortira en janvier 2019.
De même, l’Etat accompagnera la réalisation du projet d’Académie du protocole que tu portais généreusement pour partager ton savoir-faire.
Mission accomplie, Bruno Louis Robert Diatta.
Adieu ! Repose en paix, ad vitam æternam.
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