Qualifiées de fragiles et trop belliqueuses pour se tailler une place dans les transports publics, les femmes dégagent en touche, tout en se déchargeant sur les usagers. Elles reconnaissent tout de même quelques difficultés.
‘’Nul n’est méchant volontairement’’. Ce déterminisme d’Emile Durkheim, Ndèye y croit fermement. Cette receveuse de la ligne 75 reliant Keur Massar à la gare routière de Colobane, souligne que le comportement des femmes dépend de l’attitude des passagers. ‘’Aucune receveuse n’est aigre volontairement. Ce sont les clients qui nous poussent à l’être. Ils nous répondent d’une manière sèche. Ce qui déclenche notre colère. Certains nous sous-estiment. Or, nous sommes tous des êtres humains. Si je demande à un client de céder le passage ou de se tenir correctement, s’il refuse, je ne réagis même pas. Je le laisse faire et me concentre sur mon travail’’, se défend-elle, le visage fermé. Dans son bus stationné à Colobane, celle qui s’est lancée dans le secteur, il y a quelques mois, décompte, avec un autre receveur, le nombre de tickets qui lui reste de son dernier voyage.
Cette jeune fille, la vingtaine, ne se laisse pas décourager par le comportement ‘’désagréable’’ de quelques clients. Elle n’en fait même pas cas. Pour elle, le plus dur dans son travail, c’est le fait de se réveiller tôt, chaque jour, et non pas l’attitude des passagers. ‘’Les gens qui disent que les femmes ne peuvent pas résister dans le secteur du transport racontent ce qu’ils veulent. On peut bel et bien le faire. Il suffit juste d’avoir la passion et la volonté. Pour le reste, Dieu va s’en charger’’, lance-t-elle.
A quelques pas du lieu de stationnement de sa ligne, une autre femme est au milieu des hommes. Feuilles et stylo à la main, cette dame, la trentaine, est régulatrice de la ligne 33. Comme Ndèye, elle aussi accuse les clients. ‘’On rencontre toutes sortes de clients. Certains sont bien éduqués, d’autres non. Il y a aussi des gens qui se fâchent chez eux et veulent déverser leur bile sur les receveurs. Souvent, il suffit de leur demander de céder le passage ou de se tenir bien pour qu’ils deviennent agressifs. Pourtant, ce n’est pas trop demander. Mais chacun a sa vision des choses’’, renchérit cette régulatrice sous couvert de l’anonymat.
Elle invite les Sénégalais à faire preuve de discernement pour ne pas mettre toutes les receveuses dans le même sac. Mais surtout à faire preuve de considération et de ne pas les mésestimer. ‘’Il faut aussi que les gens nous respectent. S’ils vont dans un bureau, ils vont s’adresser correctement à la personne qu’ils trouvent sur place afin qu’elle règle leurs besoins. Pourquoi ne pas faire autant avec nous ? Ces caves sont nos bureaux. Peut-être cela est dû à la nature de notre travail’’, plaide la jeune dame.
Par ailleurs, ajoute cette régulatrice de la ligne 33, les clients ne sont les seuls à être désagréables dans ce secteur. ‘’Des fois, on demande aux chauffeurs de prendre le départ, mais ils refusent. Ils se querellent avec les régulateurs et même parfois se battent. Personnellement, je n’en arriverai pas jusque-là. A chacun de voir comment faire son travail dans le respect des normes. Je pense que les femmes peuvent percer dans ce secteur. Il suffit juste qu’elles aient la foi et la volonté pour y arriver’’, dit-elle.
‘’On se lève à 4 h du matin et on rentre à 22 h, voire 23 h. Ce n’est pas évident pour une mariée’’
Toutefois, ces femmes admettent que c’est ‘’compliqué’’ d’être dans le secteur du transport public, compte tenu des horaires. ‘’Il est difficile de gérer son foyer et son boulot. On se lève à 4 h du matin et on rentre à 22 h, voire 23 h. Ce n’est pas évident pour une mariée. Si on est célibataire, le problème majeur auquel on fait face, ce sont les agressions. On rentre avec d’importantes sommes d’argent qui ne nous appartiennent pas. En cas de problème, on se retrouve dans le pétrin’’, souligne Nafy. En guise d’exemple, cette receveuse fait remarquer qu’il arrive qu’une dame habite les Parcelles-Assainies et doive aller tôt le matin à Colobane, ou à Bargny pour démarrer sa journée. ‘’C’est compliqué’’, gémit-elle.
Cependant, précise-t-elle, il n’y a pas de concurrence avec les hommes. ‘’On travaille dans la fraternité. On les considère tous comme nos propres frères, nos pères. C’est pourquoi, nous n’avons aucun souci. Certains nous conseillent. Nous acceptons le fait qu’ils connaissent le secteur mieux que nous, dans la mesure où, ils y ont été avant nous. En plus, ce qu’ils peuvent faire, nous ne le pouvons pas. Pour moi, une femme ne doit pas être en concurrence avec un homme. Car si nous essayons d’entrer dans ce jeu, nous serons les grandes perdantes. Ils maitrisent les choses mieux que nous’’, avoue Nafy, toute souriante.
Toutefois, ajoute-t-elle, vu l’évolution de la société, on ne peut pas dire qu’un métier soit réservé ‘’exclusivement’’ aux hommes. Car les femmes sont partout.
En effet, Mabelle a été taxi-woman pendant 5 ans. Cependant, dit-elle, le programme taxi-sister initié par l’ancien chef de l’Etat, Abdoulaye Wade, était ‘’trop difficile’’ pour une femme. ‘’J’ai eu un accident et la reprise était un peu pénible pour moi. C’était très grave. Je suis restée pendant deux ou trois ans sans même conduire. J’avais un peu peur de reprendre le volant’’, explique-t-elle.
Sentinelle de la révolution dans le transport public, le souhait d’Aïssatou est de voir, dans l’avenir, les femmes intégrer en masse ce secteur. ‘’Je dis souvent aux autres conductrices qu’il faut qu’on fasse tout pour bien faire notre travail. Ainsi, les recruteurs auront confiance en nous et pourront recruter d’autres femmes’’, se projette-t-elle. Néanmoins, cette battante reconnait que toutes les branches du transport en commun ne sont pas aisées pour la gent féminine. C’est le cas des bus Tata, des ‘’cars rapides’’ et ‘’Ndiaga Ndiaye’’. Un milieu qu’elle juge ‘’plus agressif’’.