Le président turc Erdogan, confirme ses ambitions africaines lors de sa visite au Sénégal

En visite au Sénégal, le président turc Erdogan a confirmé ses ambitions africaines. Le Chef de l’Etat turc et son homologue sénégalais se sont rencontrés, avant de prendre part à un forum économique visant à consolider les relations entre les deux pays.

C’est au Sénégal que le président Recep Tayyip Erdogan, accompagné de nombreux ministres, a achevé sa tournée éclair en Afrique, mardi 28 janvier, après des étapes en Algérie et en Gambie. Il s’agit de la troisième visite du chef de l’Etat turc dans ce pays d’Afrique de l’Ouest depuis 2016.

Sa rencontre avec son homologue Macky Sall a été suivie d’un forum économique réunissant des représentants des secteurs privés sénégalais et turcs, un rendez-vous visant à consolider les relations économiques entre les deux pays. Car depuis une dizaine d’années, la Turquie est devenue un « partenaire important pour le Sénégal », a déclaré Macky Sall devant les journalistes, ajoutant : « [Elle] nous accompagne en particulier dans la réalisation diligente d’infrastructures de développement. »

La Turquie a effectivement acquis une place de premier plan dans les grands projets d’infrastructures chers à Macky Sall, qui sont au cœur de son Plan Sénégal émergent (PSE). Construction du Centre international de conférences Abdou-Diouf, du palais des sports Dakar Arena et de l’hôtel Radisson à Diamniadio, la nouvelle ville située à 30 km de la capitale ; participation à la réalisation du train express régional (TER) ; gestion de l’aéroport international Blaise-Diagne pendant vingt-cinq ans… Les entreprises turques ne cessent de rafler la mise. En 2018, 29 projets étaient réalisés ou en cours de réalisation, pour un montant de plus de 460 milliards de francs CFA (soit plus de 700 millions d’euros).

L’Afrique plutôt que l’Europe

Les flux commerciaux entre le Sénégal et la Turquie s’intensifient aussi à grande vitesse. L’objectif des deux pays est de porter à court terme le volume des échanges à 400 millions de dollars (plus de 360 millions d’euros). Soit presque le double de 2018 (250 millions de dollars) et quatre fois plus qu’en 2012 (113 millions de dollars).

Pour Oumar Sall, professeur au Centre d’études diplomatiques et stratégiques (CEDS) de Paris et expert associé au laboratoire Les Afriques dans le monde (LAM) de Sciences-Po Bordeaux, la coopération entre les deux pays a été facilitée par « des dimensions géostructurelles communes » : « Les deux pays partagent le même islam, sunnite. L’Organisation de la conférence islamique, dont ils font partie, leur donne un cadre privilégié de coopération économique et commerciale. » Et la dynamique initiée par la Turquie serait « en partie liée à l’éloignement de la perspective d’une adhésion à l’Union européenne », poursuit-il.

Le Sénégal, pour sa part, voit la Turquie comme un important marché pour exporter ses produits de base tels que le poisson, les minerais (zircon, titane…) et les arachides, parmi les « meilleures du monde », vantait Macky Sall auprès de son homologue lors de sa précédente visite, en 2018. La balance commerciale penche en revanche largement en faveur d’Ankara. En 2017, le Sénégal importait pour 125 milliards de francs CFA, contre 1 milliard de francs CFA dans le sens inverse.

Mais les Turcs soignent leur image. La teneur des partenariats signés mardi par les deux présidents le montre : pas question de ne parler que finances. Ankara a ainsi annoncé la création d’un centre culturel turc. Et un mémorandum a été paraphé pour approfondir « la coopération en matière de politique de la diaspora ».

Des mosquées et un stade

Depuis le lancement du programme gouvernemental turc « Opening up to Africa », en 1998, mais encore plus ces dernières années, « la force de la Turquie, c’est de jouer sur tous les registres », analyse Oumar Sall. Et partout sur le continent.

En 2018, la fondation turque Diyanet a doté le Ghana d’une des plus grandes mosquées d’Afrique de l’Ouest, avec une capacité d’accueil de 5 000 personnes, et d’une école d’imams. Fin 2019, Djibouti a inauguré la plus vaste mosquée du pays, elle aussi financée par Diyanet. Au Cameroun, le complexe sportif de Japoma, à Douala, qui accueillera la Coupe d’Afrique des nations de football 2021, est construit par le groupe turc Yenigun et financé par la Türk Eximbank à hauteur de 116 milliards de francs CFA.

Avec un réseau de 41 ambassades, 20 bureaux de l’agence de coopération TIKA et la desserte de 53 villes africaines dans 35 pays grâce à la densification du réseau de Turkish Airlines, la toile turque s’étend sur tout le continent. D’abord discrète, l’avancée de la Turquie en Afrique est de plus en plus visible. Et selon Oumar Sall, le Sénégal en est un « pilier », du moins en Afrique de l’Ouest, car « il est difficile de se développer dans la sous-région si on n’a pas de bonnes relations diplomatiques avec le Sénégal ».

De son côté, l’Etat sénégalais est soucieux de soigner ses relations avec Ankara pour préserver les investissements turcs. Ainsi, en 2017, il n’a pas hésité à accéder aux demandes insistantes de la Turquie de fermer les écoles du réseau Yavuz Selim. Depuis trois ans, ces huit établissements basés au Sénégal et appartenant au réseau éducatif du prédicateur turc Fethullah Gülen, ennemi juré du président Erdogan, ont l’interdiction d’accueillir des élèves.